Pulsions - Laurent Laffargue - Compagnie du Soleil bleu

Publié par Technique.

 

Pulsions est le spectacle de fin d’études de la 24e promotion du CNAC avec Emanuel Breno Caetano à la corde lisse, Jonas Leclere aux sangles, Juan Manuel Rueda au mât chinois, Camille Chatelain au vélo acrobatique, Elise Bjerkelund Reine au trapèze et à la contorsion, Laura Colin (voltigeuse) et Coraline Léger (porteuse) au trapèze duo fixe, Josa Kölbel (porteur) et Bellina Belinda Sörensson (voltigeuse) au trapèze fixe, Marine Fourteau (voltigeuse) et Angèle Guilbaud (porteuse) au cadre aérien, Liza Lapert et Marcel Vidal Castells au portique coréen, Simon Bruyninckx et Arne Sabbe à la bascule coréenne, Coline Mazurek (voltigeuse) et Valentin Verdure (porteur) aux portés acrobatiques.

 

Après avoir exploré la question de l’absurdité des rôles sociaux et des jeux possibles sur le masculin et le féminin en montant des pièces comme Le Tartuffe de Molière, L’Épreuve et La Fausse Suivante de Marivaux, Laurent Laffargue (de la Compagnie du Soleil Bleu) revient sur ces thématiques dans un spectacle de cirque où la musique et la projection vidéo jouent un rôle majeur.

 

 

UNE SCÉNOGRAPHIE CIRCULAIRE DE L’EMPILEMENT ET DU (DÉ)VOILEMENT

 

La spécificité de Pulsions tient au dispositif scénographique crée par Philippe Casaban et Eric Charbeau, fidèles collaborateurs de Laurent Laffargue au théâtre (Le Tartuffe de Molière, Les Géants de la Montagne de Pirandello…) comme à l’opéra (Don Giovanni de Mozart, La Bohème de Puccini…). Il est composé de trois cercles concentriques mobiles verticalement. Les trois anneaux, de plus en plus larges du sommet à la base, peuvent s’emboîter les uns dans les autres ou se déployer. Sur les deux anneaux du haut du tissu blanc est suspendu, sur celui du bas, ce sont de fins fils formant un rideau[i].

 

Ce dispositif scénographique sert parfois à cacher aux spectateurs.trices ce qui se passe sur la piste, comme pour les empêcher de voir ce que la morale désapprouve. Cette obstruction n’est cependant que partielle, dans la mesure où les trois anneaux laissent tous passer la lumière (à des degrés différents).

Dans le tableau initial, alors que la fête organisée pour l’anniversaire surprise de l’un des protagonistes bat son plein, le dispositif scénographique descend des hauteurs du cirque en dur du Cnac. Les deux anneaux du haut s’emboîtent dans celui du bas, ce qui permet à la fois de jeter un voile pudique sur les débordements qui commencent à avoir lieu et d’inciter le public à lever les yeux au ciel pour voir le quatuor que Marine Fourteau, Angèle Guilbaud, Liza Lapert et Marcel Vidal Castells effectuent au cadre aérien cadre aérien et au portique coréen.

À mi-spectacle, pendant un noir entre deux tableaux, les anneaux descendent une nouvelle fois des hauteurs, cette fois-ci en se déployant totalement. Ils restent en place pendant l’installation puis le déroulement de deux tableaux abordant le thème de la sexualité. Pour le premier, une dizaine d’étudiant.e.s avancent à plat ventre sur la table, encastré.e.s les un.e.s dans les autres dans un flux ininterrompu, sous le regard de l’une d’entre eux qui déclare : « Bah moi ça m’arrive jamais ça en fait. Je sais pas pourquoi. Je comprends pas. Parce que ça va, je suis pas ouf, mais ça va je suis pas dégueulasse non plus. Mais je sais pas, je trouve personne. Il y a personne qui a envie de moi en fait. En même temps, je suis pas comme eux tous. Ils se rencontrent, il se connaissent à peine, clac, paf, ils se rentrent dedans. Je peux pas faire ça moi. J’ai envie de trouver un truc vrai. J’ai envie de trouver un truc réel. J’ai envie de trouver l’amour vraiment ». Pour le second tableau, les interprètes commencent par se demander les un.e.s aux autres, à voix basse : « tu veux jouer à touche-touche avec moi ?  » avant de chanter en chœur : « qui veut jouer à touche-touche avec moi ? ». C’est à ce moment que les anneaux remontent, puisque leur question est désormais clamée et adressée au public.

Dans le tableau final, en écho avec le tableau inaugural, le dispositif scénographique est utilisé une dernière fois pour estomper ce qui se passe au sol et concentrer le regard vers ce qui se passe dans les airs. Tandis que les étudiant.e.s grimpent à la corde pour rejoindre Elise Bjerkelund Reine au trapèze, les anneaux sont déployés depuis le bas. Cette fois-ci – et pour la seule fois du spectacle, l’anneau composé de fins fils se retrouve en haut. Le noir final se fait alors que le dispositif scénique est encore en mouvement. Cela a pour effet d’accentuer la pulsion à laquelle semblent répondre celles et ceux qui cherchent à monter, tout en camouflant en partie leur action.

 

Extrait de la captation vidéo, Pulsions (c) Cnac, 2012

 

 

Si, à certains moments du spectacle, la scénographie permet dérober au regard du public certaines actions scéniques, à d’autres moments elle permet de projeter des images de différentes natures.

 

Ce sont parfois des images d’archives qui apparaissent sur ce qui devient alors des écrans (rideau de fins fils et toiles de PVC). Au tiers du spectacle environ, le public voit défiler des vidéos de jeunes femmes apprêtées selon le style caractéristique des années 1970 en train de se faire photographier ou d’être applaudies. Ces projections interviennent juste après une scène au cours de laquelle une étudiante fait – en anglais et au micro – un discours digne d’une Miss Monde caricaturée (« I want a better word, without pollution and with a lot of peace »), tandis que deux camarades lui embrassent la joue puis le bras, lui mettent une chaussure à talon à un pied, un boa rose autour du cou, du blush sur les joues, du mascara sur les yeux, un ruban dans les cheveux, une dizaine d’écharpes dorées en bandoulière, une plaque d’immatriculation dans les mains puis une pierre accrochée à une corde à la cheville. En mettant en lumière les effets de la publicité et du marketing dans l’imaginaire de la féminité et donc dans les injonctions quotidiennes auxquelles les femmes sont sommées de se soumettre, ces images d’archive incitent le public à approfondir la lecture de la scène à laquelle il vient d’assister.

Parfois, des images d’archives sont projetées non pas après mais avant un tableau, dont elles orientent donc la lecture a priori. Peu temps après les vidéos des jeunes femmes apprêtées, c’est la vidéo d’un match de boxe qui est projeté sur le dispositif scénographique. Lorsque tous les anneaux sont remontés, les images disparaissent mais le son reste, pendant le début d’un numéro de bascule coréenne. Habituellement synonyme d’entraide et d’interdépendance, cet agrès devient symbole d’affrontement. Les bruits de la bascule sonnent comme des coups, les regards échangés entre les interprètes après la réalisation d’une figure sont lus comme des défis lancés à l’autre, surtout de la part de celui qui est habillé tout en noir, qui peut est ainsi identifié – en référence aux codes de la boxe ou du catch – comme un adversaire particulièrement difficile à (a)battre. Tout comme la féminité, la masculinité est construite par les images auxquelles nous sommes exposées. Ici, la virilité est clairement associée à la force physique.

 

 

Extrait de la captation vidéo, Pulsions (c) Cnac, 2012

 

Extrait de la captation vidéo (c) Cnac, 2012
Extrait de la captation vidéo, Pulsions (c) Cnac, 2012

 

Vers la fin du spectacle ce ne sont plus des images d’archives qui sont projetées sur le dispositif scénographique de Philippe Casaban et Eric Charbeau, mais des images du spectacle auquel le public est en train d’assister. En revoyant des scènes qu’il a déjà vues quelques minutes, les spectateurs.trices les interprètent différemment. Après le prologue de « l’anniversaire surprise », dans une obscurité presque totale, le public découvre un tas de corps, que l’on retrouve sur l’affiche du spectacle pour sa présentation au CNAC. Uniquement vétu.e.s d’un slip noir, les étudiant.e.s sont groupé.e.s sous la corde lisse, comme s’ils en étaient tou.te.s tombé.e.s. Peu à peu tout le monde se déplace au sol et sort de scène, sauf une personne qui reste dans une sorte de prosternation qui sera reprise sur l’affiche du spectacle lors de sa présentation à la Villette. Ce corps défait progressivement les contorsions complexes dont il est l’objet, ce qui révèle – pudiquement – ses attributs féminins (seins). Alors qu’il s’apprête à se relever, il est comme dévoré par un autre corps qui réinvestit rapidement l’espace scénique. Ce deuxième tableau est suivi d’un duo de trapèze fixe extrêmement doux voire sensuel, dans lequel il est difficile de distinguer les deux corps des interprètes jusqu’à ce que l’une finisse par lâcher l’autre. Quelque peu mystérieux, ces deux tableaux initiaux sont projetés en fin de spectacle, après que le public a assisté à des scènes plus facilement compréhensibles (notamment celles de « Miss Monde », du « combat de bascule coréen », de la « chaîne des positions sexuelles », de « qui veut jouer à touche-touche avec moi »). Ils se chargent alors de significations qu’ils ne pouvaient pas encore porter :  on peut par exemple y lire une métaphore de l’indistinction des genres à la naissance – avant que la société ne se charge de les construire – ou de l’imbrication des sentiments qui composent ce qu’on appelle l’amour.

 

Affiche du spectacle au cirque en dur, Châlons-en-Champagne, 2012
Affiche du spectacle pour la Villette, 2013

 

Dans Pulsions les références visuelles se multiplient et s’emboîtent les uns dans les autres, comme le dispositif scénographique du spectacle. On retrouve ainsi un dernier type d’images, projetées entre le premier et le deuxième, puis entre l’avant-dernier et le dernier tableau. Il s’agit, dans un premier temps, de formes colorées abstraites puis de tableaux aux thèmes mythologiques qui défilent en boucle, comme des images subliminales. Ces projections portent l’enjeu majeur du spectacle : montrer que nous sommes conditionné.e.s par des mythes fondateurs, qui pour être ré-interprétés n’en sont pas moins réducteurs de liberté.

 

 

 

UN SPECTACLE QUI RÉINVESTIT DE GRANDS MYTHES FONDATEURS

 

Les mouvements du dispositif scénographique ainsi que le recours récurrent au « noir plateau » incitent à considérer Pulsions comme une succession d’une vingtaine de tableaux, dont certains évoquent clairement de grands mythes fondateurs.

 

Parmi les images projetées au début et à la fin du spectacle figure une pomme – peut-être issue du tableau Adam et Ève par Lucas Cranach l’Ancien. Compte tenu de la vitesse de la projection, celle-ci n’est pas forcément vue par l’ensemble des spectateurs.trices, mais elle revient plusieurs fois par la suite. Alors que trois interprètes sont debout, nus, un néon posé à la verticale sur chacun de leur corps, un homme et une femme, tout aussi nus, s’avancent lentement l’un vers l’autre sans se quitter des yeux. Lorsqu’ils sont extrêmement proches, l’homme met dans sa bouche la pomme rouge qu’il tient dans sa main droite. La femme se met sur la pointe des pieds et croque dedans. Noir plateau. La référence biblique est ainsi détournée puisque c’est l’homme qui incite la femme à croquer dans le fruit défendu, dans une sorte de jeu érotique. On pense alors à « Gleeden » qui se définit comme « le premier site de rencontre extra-conjugales pensé par des femmes, gratuit pour les femmes mariées » ou à la série Desperate Housewives où l’adultère est le nœud d’un certain nombre d’épisodes. Dans le tableau suivant des couples dansent la valse, en mangeant une pomme rouge qu’ils se passent de bouche à bouche.

 

Extrait de la captation vidéo, Pulsions (c) Cnac, 2012

 

Pulsions est également traversé par la figure de Cupidon. Vers la fin du spectacle, alors que tou.te.s les étudiant.e.s sont endormi.e.s au pied du mât chinois, Juan Manuel Rueda y monte pour y effectuer quelques figures. À chaque fois qu’il descend et cherche à quitter son agrès, les étudiant.e.s se réveillent et l’y réinstallent, comme s’ils espéraient que ce Cupidon leur envoie ses flèches d’amour pendant leur sommeil. Le noir plateau intervient alors que Juan Manuel est de nouveau en train de gravir son mât, comme s’il était condamné à effectuer sa mission de faire en sorte que les (jeunes) gens tombent amoureux les uns des autres.

Extrait de la captation vidéo, Pulsions, (c) Cnac, 2012

 

Dans Pulsions, on croit à l’amour, mais celui-ci est plus complexe que les mythes fondateurs voudraient nous faire croire. À trois reprises, les interprètes appellent « Valentin » : à la suite de « la valse des pommes » (ce qui leur permet de sortir de scène pour le tableau « Miss Monde), après le numéro de bascule coréenne (ce qui permet la désinstallation de l’agrès) et après la séquence de « qui veut jouer à touche-touche avec moi ? » où les artistes se jettent des tables ou des épaules de leurs partenaires en criant « Valentin ! » et en espérant que quelqu’un.e va les rattraper. Si Valentin est le nom d’un des étudiants de cette 24e promotion du CNAC (Valentin Verdure), c’est aussi le nom d’un saint associé à la « fête des amoureux » célébrée le 14 février.  Si son nom est connu, son histoire l’est beaucoup moins. Saint Valentin est Valentin de Terni qui, au IIIe siècle après Jésus-Christ, fut emprisonné et martyrisé par Claude II Le Gothique car ce moine continuait de célébrer des mariages, malgré l’interdiction de l’Empereur qui craignait que les hommes soient tentés de rester avec leurs fiancées plutôt que de partir à la guerre. Le jour de son exécution, le 14 février 269, il est roué de coups puis décapité. En 495, le pape Gélase Ier décide d'en finir avec la licence de la fête païenne des Lupercales célébrées du 13 au 15 février – au cours desquels deux jeunes hommes désignés par le prêtre-sacrificateur devaient courir dans toute la ville de Rome en se servant de la peau du bouc sacrifié pour fouetter certaines femmes rencontrées sur leur passage afin de les rendre fécondes – et décide de la remplacer par la fête du 14 février. La Saint-Valentin charrie donc une violence complètement ignorée de la fête commerciale qu’elle est devenue.

 

Si, de prime abord, le troisième tableau du spectacle semble doux et sensuel, il renvoie lui aussi à une histoire qui l’est beaucoup moins. Vêtues d’un shorty noir et d’un soutien-gorge couleur chair, Laura Colin et Coraline Léger se livrent à un duo de trapèze fixe dans lequel elles effectuent des figures marquées par une tension entre le haut et le bas, le trapèze servant souvent d’axe de rotation. On pense alors au mythe d’Aristophane (mentionné dans Le Banquet de Platon) selon lequel, à l’origine, les êtres humains étaient androgynes et avaient la forme d’une sphère, qui se déplaçait par culbute en roulant sur elle-même, jusqu’au jour où, pour les punir de leur velléité à égaler les dieux, Zeus les coupa en une moitié mâle et une moitié femelle et disposa leurs sexes de manière à ce qu’il y ait jouissance quand ils se réunissent. On peut également lire une trace de ce mythe dans le numéro de sangles de Jonas Leclere. Celui-ci s’amuse à brouiller les frontières communément admises entre le masculin et le féminin puisqu’il entre en piste vêtu de chaussures à talons, d’une jupe noire, d’une veste blanche et d’une perruque blonde et qu’il se met ostensiblement et malicieusement, du rouge à lèvres devant les spectateurs.trices. Lorsqu’il enlève son haut, les sangles tombent du ciel. Les figures qu’il effectue ne sont pas sans rappeler les culbutes évoquées par Aristophane. Mais elles prennent également une connotation clairement sexuelle, puisque Jonas s’amuse des connotations BDSM (bondage, domination, soumission, sado-masochisme) que peut revêtir son agrès. Les cris de jouissance qu’il pousse incitent le public à considérer qu’il monte au septième ciel... dont il n’arrive pas à redescendre tout seul. Pendu par le bras, il n’arrive pas à toucher le sol avant que cinq interprètes en costume noir viennent le décrocher et désinstaller son agrès. La fin du tableau jette un nouveau trouble sur l’ensemble du numéro : le personnage de « la blonde » créé par Jonas ressemble à l’image que l’on peut se faire d’une prostituée tandis que les artistes en noir renvoient à la figure de policiers aussi bien que de maquereaux.

 

 

Extrait de la captation vidéo, Pulsions, (c) Cnac, 2012
Extrait de la captation vidéo, Pulsions, (c) Cnac, 2012

 

 

UN SPECTACLE QUI DÉNONCE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

 

Pulsions peut être lu comme une fable sur les rapports hommes/femmes, composée de différentes étapes :

 

En cherchant à retracer une histoire possible des rapports hommes/femmes, le spectacle de fin d’année de la 24e promotion du CNAC incite à porter un nouveau regard sur les violences faites aux femmes.

 

En plaçant le duo aérien de Laura Colin et Coraline Léger en quasi-ouverture de Pulsions, Laurent Laffargue incite à lire la suite de son spectacle à l’aune du mythe d’Aristophane, fondateur d’une conception de l’amour comme recherche de sa moitié, accompagné du désir de ne faire plus qu’un. Cette scène inaugurale conditionne notre appréhension des scènes de violences conjugales qui vont nous être présentées par la suite. D’une certaine manière, on pourrait considérer que les hommes ont des attitudes possessives avec les femmes dans la mesure où, selon le mythe d’Aristophane, elles sont en fait une partie d’eux-mêmes qu’ils cherchent – parfois très brutalement – à réintégrer. Les femmes auraient du mal à se soustraire à cette violence car elles seraient soumises au même désir de (re)groupement, à cette même pulsion fusionnelle. Alors même qu’elle évoque une relation amoureuse qui commence par un jeu de séduction pour aboutir à un adultère après une phase de désintéressement, Camille Chatelain chante « c’est à l’amour auquel je songe, je me demande à cet instant, s’il n’existe que dans les songes ou bien vraiment ». Quelques minutes plus tard, elle s’élance vers la corde d’Emanuel Breno Caetano comme on tombe dans un piège, tandis que la chanson jazzy diffusée à ce moment-là clame ironiquement « crazy from loving you ». 

 

Dans Pulsions, les hommes ne sont pas coupables face à des femmes victimes. Certains tableaux accusent la société dans laquelle nous vivons, lui reprochant les injonctions qu’elle émet plus ou moins implicitement et les comportements plus ou moins graves qu’elle engendre. En empruntant ses codes à la boxe ou au catch pour les intégrer à un numéro de bascule coréenne, Pulsions dénonce tacitement l’association de la virilité à la force physique. Ce n’est pas un hasard si ce tableau est suivi de près par une scène de viol et une scène de violence conjugale. Dans la première, alors qu’un homme maintient une femme au sol en s’allongeant sur elle, une interprète vient le relever, le prendre dans ses bras puis le porter comme un enfant, comme pour montrer qu’il n’est pas entièrement responsable des actes qu’il a commis, et qu’il sait condamnables. Dans la seconde, tou.te.s les interprètes sont assis.e.s sur des bancs en bord de piste, assistant sans rien dire ni rien faire au duo de Coline Mazurek et Valentin Verdure qui commencent comme une danse de couple et finit comme une véritable bagarre. De la même manière, peu de temps après, les camarades de Camille Chatelain l’aide à se remettre en selle – sans doute après une blessure qu’on imagine sans lien avec sa pratique acrobatique – mais personne n’ose affronter Emanuel Breno Caetano et rester en piste malgré son ordre de « dégager ». Pulsions semble ainsi défendre l’idée selon laquelle les violences faites aux femmes ne sont pas un problème individuel mais collectif, sociétal.

 

Seules, les femmes ne peuvent que rêver de s’en sortir. À la fin du numéro de vélo acrobatique, on a l’impression que Camille Chatelain reprend le contrôle de son agrès et s’émancipe d’Emanuel Breno Caetano, qu’elle regarde même avec audace et défi. Cependant, la musique jette un trouble sur le statut de ce que nous voyons. « Always in my dream I imagine… » annonce la chanteuse. Nous voudrions tant croire au « happy ending » mais peut-être sommes-nous devant la représentation d’un fantasme ?

De la même manière, nous aimerions croire que, seule sur son trapèze volant, Elise Bjerkelund Reine est une figure de femme libre et indépendante. Mais force est de constater qu’elle se fait comme attraper au lasso par un de ses camarades et que nous ne sommes pas sûrs que ce soit pour la sauver que tou.te.s les autres grimpent à la corde derrière lui.

 

Extrait de la captation vidéo, Pulsions, (c) Cnac, 2012

 

Marie Astier

 

L'équipe artistique et technique

 

Mise en scène Laurent Laffargue - Assistance à la mise en scène Sébastien Laurier, Manon Colomb de Daunant - Scénographie Philippe Casaban, Eric Charbeau, Laurent Laffargue, avec l'atelier et le service technique du Cnac - Dramaturgie Gwénola David, Laurent Laffargue - Musique Hervé Rigaud, avec la collaboration d’Antoine Delecroix (prise de son et mixage), Maëva Le Berre, Anne Gouverneur, Christophe Gratien, Camille Chatelain (instruments et voix) - Lumières Laurent Laffargue, Vincent Griffaut, Marcello Parisse - Vidéo Audrey Mallada, Laurent Laffargue - Costumes Sarah Meriaux - Concepteur des accroches aériennes Fill de Block / Atelier du Trapèze - Régie générale, régie vidéo (création) Nicolas Brun - Régie générale, Chef monteur chapiteau (tournée) Julien Mugica - Régie plateau, monteur chapiteau Jacques Girier - Régie lumières Vincent Griffaut - Régie son Rémi Bourgeois

 

 

[i] Selon Julien Mugica : « Tout était en tissu blanc. Les 2 cerces les plus petites (8m et 8m50 de diamètre) était en tissu tendu à l'aide de tubes (également en forme de cerce de même diamètre) insérés dans des fourreaux à la base. Rien ne pouvait passer à travers. La troisième (9m de diamètre) était faite de filins type rideaux de pluie en tissu pouvant permettre des passages de personne ou d'objets en tous points. Pour finir, toute cette matière permettait de s'écraser complétement au sol. Si ça avait été en PVC, pas possible et du coup pas de trapèze ballant »

Marcello Parisse précise : « cerces en aluminium de diamètre 8m, 8,5m, 9m , avec manchons en acier,  1 avec du fin fils et 2 avec écrans en tissus… »

Publié dans Scénographie

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