Machin-Machines 2021

Compte-rendu Machin Machines

La Gare à Coulisses, 16 et 17 octobre 2021

Les 16 et 17 octobre 2021, la chaire ICiMa s’est rendue au festival Machin Machines organisé par la Gare à Coulisses, scène conventionnée Art en territoire située à Eurre (Drôme). Le festival et les rencontres professionnelles qui s’y sont tenues « préfigure[nt] un nouvel évènement sous forme de biennale autour des constructeurs du spectaculaire[1] ». Ces rencontres étaient à l’initiative de la Cie Transe Express, s’illustrant par des structures monumentales, tels les mobiles géants soulevant musiciens et acrobates lors de grandes manifestations publiques, et des ateliers Sud Side installés à Marseille au sein de la Cité des Arts de la Rue. L’impulsion vient donc de constructeurs de machines et machineries de spectacle à la confluence du cirque et des arts de la rue, cherchant à s’organiser en réseau. La Gare à Coulisses est quant à elle le lieu d’implantation de la Cie Transe Express et de leur atelier de fabrication.

La présence de la chaire à cet événement s’inscrit dans le cadre de son axe de recherche « Matériaux » et dans la continuité du colloque organisé en 2019, « Agrès, scénographie et éco-conception » à l’occasion duquel une exposition sur la création d’agrès et scénographies innovantes avait été présentée par Audrey Laloy.

Machin Machines, qu’est-ce que c’est ?

Le festival était constitué de plusieurs volets se complétant les uns les autres, à savoir :

Des spectacles impliquant l’apparition et l’utilisation de « machines ». Celles-ci allaient des fines constructions de Magali Rousseau (Cie L’insolite mécanique) dont le spectacle se rapprochait du théâtre d’objets, au Mobile Homme de la Cie Transe Express soulevé par une grue au-dessus du public, sans oublier le manège Moon Bao de Melle Hyacinthe & Cie et les structures acrobatiques investies par les clowns du Cirque Hirsute (avec Les Butors et L’œil du cyclone). Avec Le Grand 49.9 de la compagnie Le Piston Errant et La Bande à Tyrex[2], les motos et vélos étaient également à l’honneur comme autant de mécaniques donnant lieu à des épopées drôles et festives. La moto et la volonté de laisser apparente la mécanique des structures font en effet partie des fondements des ateliers Sud Side[3]. Les arts du cirque montraient ainsi leur place aux côtés des traditions héritées des arts de la rue.

  • Des visites de l’atelier de construction de la Gare à Coulisses. Celles-ci permettaient de revenir sur l’histoire des spectacles de la Cie Transe Express et de leurs constructions en collaboration avec Sud Side à travers la présentation de maquettes, d’œuvres achevées (chars de parade) et de l’écoute de la parole des ingénieurs et du chef d’atelier. Parmi les grands spectacles, on retrouvait ainsi : Mobile Homme (1990), Maudits sonnants (1996), Lâcher de Violons (1999), Les Rois Faignants (2004), Cabaret chromatic (2008), Diva d’eau (2012), (2014) et Cristal Palace (2018).
  • Des rencontres de constructeurs et de professionnel·le·s du secteur (matériel, homologations, artistes) témoignant de leur expérience. Les échanges se faisaient avec la volonté de constituer un réseau fédéré et actif permettant de défendre et faire vivre leur profession, en exprimant leurs besoins communs.

Les enjeux de la construction spectaculaire

Nous avons tenu à résumer ici les échanges et interventions des participant·e·s. Ce compte-rendu montre les problématiques soulevées par les constructeur·rice·s présent·e·s aux visites, table ronde et rencontres, soit les enjeux qu’il leur importait de mettre en commun.

Transmettre une histoire et des savoir-faire

Les rencontres avaient un objectif de transmission : faire connaître les activités de construction de la Cie Transe Express au fil du temps, notamment dans ses liens avec les ateliers Sud Side, et retracer ainsi une aventure humaine. En 1993, la réalisation de la structure des Arts Sauts (pensée par une classe de BTS à Paris) est en partie confiée à Sud Side qui prend ainsi place dans le paysage des arts du cirque et de l’espace public, tandis que Transe Express présente ses premiers mobiles. Les ateliers collaborent dès les premiers spectacles et le travail commun se poursuit, notamment pour la fabrication d’un « Arbre à rois » dans le cadre de la création des Rois Faignants en 2003. Les témoignages de Gilles Rhode (fondateur de Transe Express) et Philippe Moutte (co-fondateur et constructeur de Sud Side) revenaient alors sur l’apparition d’un métier à travers l’évocation de leurs projets. La constitution des équipes et leur évolution était également un point important de ces rencontres. Transe Express s’est engagée dans une démarche de passation et transmission en 2015 – une génération se retire du métier, tandis que la relève se trouve déjà dans la salle. Réunir les membres d’un futur réseau de constructeur·rice·s sert, avant toute chose, à mettre des noms sur des visages et à identifier aussi bien les personnes que les entreprises du secteur, bien au-delà des seuls ateliers de Transe Express et Sud Side. Cartographier les activités, les lieux et les démarches, tout en présentant des personnalités : il s’agit de faire l’histoire de la construction spectaculaire au passé et au présent.

La construction : un processus en dialogue

La journée d’échanges entre acteur·rice·s du domaine faisait également émerger le processus de construction des structures spectaculaires, rarement mis en valeur auprès du public. Il s’agit de démarches longues impliquant la conception de maquettes, l’établissement des budgets, l’étude des matériaux et des calculs de résistance, avant de passer à la construction proprement dite et aux tests de validation avec des charges quatre fois supérieures au poids devant être supporté par la structure. L’élaboration d’un cahier des charges commun aux artistes et équipes de construction dure environ douze mois et sert de base à tout le travail en atelier. Les constructeur·rice·s n’ont pas le droit à l’erreur, comme l’ont répété plusieurs participant·e·s : l’urgence du spectacle et les budgets n’autorisent pas de phase de prototypage. La pièce unique doit répondre immédiatement aux critères esthétiques et de sécurité des artistes et du public.

Un dialogue régulier entre les constructeur·rice·s et l’artiste qui souhaite réaliser une structure est alors nécessaire. Chaque projet représente un engagement pour l’équipe de construction, aussi bien en termes de « prise de risques[4] » que d’investissement personnel dans l’accompagnement d’une idée artistique. Il faut être à l’écoute de l’artiste, tout en mettant en œuvre des compétences très variées pour répondre aux besoins de la structure : travail du métal, du bois, de l’hydraulique et aujourd’hui, de plus en plus de robotique et informatique. Les projets de la Cie Bivouac, qui a notamment fait appel à Sud Side pour À corps perdus et Perception, nécessitent l’utilisation de technologies embarquées qui supposent des compétences nouvelles n’étant pas forcément maîtrisées par tous les ateliers de construction du spectacle. Les constructeur·rice·s doivent jauger ce que les matériaux rendent réellement possible et l’artiste aussi doit s’adapter et faire évoluer la dramaturgie de son projet. L’élaboration du cahier des charges pour la structure de Hallali ou la 5ème de Beethov' de Maxime Bourdon (Les Philébulistes) a ainsi donné lieu à une perpétuelle révision du projet initial. Le fonctionnement en aller-retour assure la réalisation d’une structure que l’artiste pourra réellement apprivoiser et le processus de conception est ainsi fait de présentations d’idées, négociations et réadaptations.

Quel avenir ?

Quelles relations à l’avenir ont les constructeur·rice·s et les artistes ? Les conditions de production et diffusion propres au secteur ont beaucoup évolué depuis trente ans et ont un fort impact sur cette question. Presque inexistantes dans les années 1990, les normes de sécurité se font de plus en plus nombreuses. Il est toujours possible d’effectuer un levage humain au-dessus d’un public avec une grue par dérogation (et ce depuis les années 1940) mais jouer dans l’espace public est soumis à des contraintes[5], d’autant plus fortes depuis la vague d’attentats qui a frappé la France. Les municipalités demandent de multiples homologations du matériel. De réelles certifications ne sont pourtant jamais envisageables pour ce type de structures hors catégories : des avis favorables sont donnés pour autoriser les représentations. Les rapports avec les directeur·rice·s techniques des lieux de diffusion peuvent parfois devenir délicats. Il faut les convaincre d’autoriser la mise en place d’une structure, allant contre les premiers refus pouvant être opposés à des projets hors-normes. La peur et les contraintes budgétaires sont ainsi devenues des enjeux du métier. La rédaction de guides et mémento de construction pourraient alors avoir un impact positif dans la gestion de ces problématiques, même si demeure la crainte que ceux-ci contribuent en fait à créer des normes.

De ces enjeux et questionnements multiples naît alors la volonté de constituer un réseau de constructeur·rice·s du spectaculaire. Comment se mettre en lien de manière efficace, pour rediriger les artistes et professionnels vers les personnes ayant les compétences en rapport avec leur projet ? Comment mettre en place des dispositifs de formation et de compagnonnage ? Par quel biais obtenir des financements et comment obtenir des labels permettant l’embauche des intermittents disposant des savoir-faire nécessaires à la construction ? Le départ d’une génération et l’arrivée de jeunes – où on notera une plus grande présence de femmes ingénieures que par la passé –, associés à la conception de machines de plus en plus complexes (par exemple pour la Cie Bivouac), demandent de s’intéresser dès à présent à la future organisation d’un secteur en pleine transformation.

Pour aller plus loin

Les personnalités ayant assisté à ces rencontres professionnelles étaient issues de structures variées, de la compagnie de spectacle à l’entreprise de scénographie d’équipement en passant par l’expertise qualité des constructions – sans oublier l’historien de l’art Paul Ardenne. La parole a donc été donnée à plusieurs corps de métier. Il est important de noter cette diversité, tout en rappelant le rôle joué par plusieurs compagnies d’arts de la rue dans l’histoire contemporaine de la machinerie spectaculaire : Royal de Luxe qui demeure emblématique à Nantes, mais aussi Générik Vapeur, Mécanique vivante, Ilotopie, Oposito… Autant de propositions spectaculaires dont l’héritage mène aujourd’hui vers de nouvelles perspectives.

La bibliographie indicative qui suit a été constituée à partir de ressources accessibles, notamment sur les compagnies ayant beaucoup transmis ou écrit sur leur parcours et leurs créations.

Cie Transe Express

DAMPNE Christiane, « Transe Express : Mission transmission », Stradda, n° 36, octobre 2012, p. 42-45 : https://www.rueetcirque.fr/app/photopro.sk/hlm/detail?docid=297567#sessionhistory-ready

Fédération des Arts de la rue Rhône Alpes, « Transmettre la direction artistique » ‐ Rencontres professionnelles, dans le cadre de la Grande fête d'anniversaire de Transe Express les 26 et 27 octobre 2012, synthèse des interventions et débats : http://www.federation-arts-rue-auvergne-rhone-alpes.fr/fileadmin/documents/Ressources/documentation/synthese_transmettre_direction_artistique.pdf

GABER Floriane, Transe Express, portrait réalisé pour Artcena, 2019 : https://www.artcena.fr/actualites-de-la-creation/magazine/portraits/transe-express

MEUNIER Sylvie (auteure) et PETIOT Philippe (photographies), L’Art céleste : théâtre au-dessus de la ville, par la compagnie Transe Express, Paris, Créaphis, 2001.

ZoomLaRue, Arts de la Rue - Transe Express - La passation, vidéo, 2014 : https://www.dailymotion.com/video/x2p9z6o

Royal de Luxe

DELAROZIERE François et COURCOULT Jean-Luc, Le Grand répertoire : machines de spectacle, Arles, Actes Sud, 2003.

DELAROZIERE François, Carnet de croquis : les Machines de l’île, Nantes, Tournefeuille, La Machine, 2007.

DELAROZIERE François, La machine spectacle, Arles / Tournefeuille, Actes Sud / La Machine, 2013.

DELAROZIERE François, Bestiaire, machines et ornements, Arles / Nantes, Actes Sud / La Machine, 2015.

DELAROZIERE François et DOSSAL Philippe, Machines de ville, Arles / Nantes, Actes Sud / La Machine, 2020.

FREYDEFONT Marcel, « Royal de Luxe, repères chiffrés pour une création débordante », Études théâtrales, n° 41-42, 2008 / 1-2, p. 101-113.

Arts de la rue et du cirque en espace public

DAPPORTO Elena et SAGOT-DUVAUROUX Dominique, Les arts de la rue. Portrait économique d’un secteur en pleine effervescence, Ministère de la Culture - DEPS, « Questions de culture », 2000, DOI : 10.3917/deps.dappo.2000.01, https://www.cairn.info/les-arts-de-la-rue--9782110046369.htm

Le théâtre de rue : un théâtre de l’échange, Études théâtrales, n° 41-42, 2008 / 1-2 : https://www.cairn.info/revue-etudes-theatrales-2008-1.htm

VIDAL Sara, Bivouac Générik Vapeur, Paris, Sens & Tonka, 2000.

 

[1] Extrait du programme du festival Machin Machines.

[2] La Bande à Tyrex terminait à la Gare à Coulisses un périple d’une semaine entre Die et Eurre, dans le cadre d’une collaboration entre le Théâtre les Aires et la Gare à coulisses (tous les deux scènes conventionnées Art en territoire). Leur présence au festival Machin Machine s’inscrivait dans cette démarche, avec la présentation du reportage L’épopée Tyrex réalisé par Pierre Barbier, rendant compte de cette descente mobile de la Biovallée.

[3] « Créés en 1998, les ateliers Sud Side, à l'origine un garage associatif de férus de motos anciennes, regroupent une dizaine de passionnés œuvrant aux confluences des pratiques artistiques, mécaniques et des métiers dits manuels. », extrait de la présentation des Ateliers Sud Side sur leur site officiel, http://www.sudside.org/ateliers.

[4] Terme utilisé par Philippe Moutte, dans la mesure où la construction en elle-même se fait sur un délai court et pour un objet unique, sans phase de prototypage permettant des tests et des corrections des défauts.

[5] Sur la question des contraintes et de la « liberté » telle qu’elle est envisagée dans les arts de la rue et de l’espace public, voir : Artcena, Organiser un événement artistique du l'espace public : quelle liberté, quelles contraintes ?, compte-rendu de la journée d’information juridique du 7 juin 2004, https://www.artcena.fr/guide/droit-et-administration/organiser-un-spectacle/evenement-dans-lespace-public-liberte-et-contraintes ; Fédération nationale des arts de la rue, Manifeste pour la création artistique dans l’espace public, 2017, https://www.federationartsdelarue.org/ressources/manifeste-pour-creation-dans-lespace-public ; et ARDENNE Paul, « L’implication de l’artiste dans l’espace public », L’Observatoire, n° 36, 2010/1, p  3-10, DOI : 10.3917/lobs.036.0003, https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2010-1-page-3.htm.

 

Compte rendu rédigé par Esther Friess, secrétaire scientifique de la chaire ICiMa

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